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ScienceCritique : Réflexions sur l'usage de la science
25 juin 2020

Le scientifique, le praticien, le politique.

 

 

Que s’est-il passé ? Comment a-t-on pu arriver à ce qui apparaît à certains comme « l’escroquerie sanitaire du XXIe siècle »[i] ? Il me semble qu’il y a eu télescopage entre les fonctionnements de trois types de personnes, tous trois indispensables à la société : les scientifiques, les praticiens de la santé, et les décideurs politiques.

 

Les scientifiques. « La démarche scientifique exige du temps, de la méthode et de l’esprit critique. » Ainsi s’exprime l’académie de médecine dans une note liée à l’utilisation de l’hydroxychloroquine[ii]. Cette phrase vaut pour toute recherche scientifique, et surtout lorsqu’il s’agit de recherche fondamentale. Il est en effet nécessaire que les chercheurs valident leurs découvertes par un travail de consolidation et de confrontation. En mathématiques, cela consiste à communiquer les démonstrations à d’autres chercheurs qui vont les passer au crible afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’erreur. En science expérimentale, il faut pouvoir reproduire les expériences et trouver des résultats suffisamment proches. En sciences humaines, on confronte avec d’autres recherches qui confirmeront, ou infirmeront les résultats avancés. S’il n’y a pas accord entre des diverses approches, des controverses naissent, d’âpres débats se déroulent et la vérité met du temps à apparaître. La science avance lentement et sûrement. Elle doit garder son objectif : donner une explication incontestable, ou du moins suffisamment solide, d’un phénomène, sans subir de pression, et au risque de déplaire. L’Héliocentrisme a dû, jadis, affronter les réticences de l’idéologie dominante du moment, qui ne pouvait imaginer que la terre ne soit pas le centre de l’univers. Or, dans le cas présent, la pression des politiques, des laboratoires, des médias et sans doute de l’opinion, exigeait que les scientifiques trouvent ce qu’on leur demandait.

 

Les praticiens. Le professeur Didier Raoult, chercheur renommé, a très bien défini son rôle de praticien de la médecine : soigner les malades qui le lui demandent en utilisant ce qu’il connaît. Des personnes ayant suivi sont traitement sont guéries. On ne sait pas exactement ce qui a fait qu’elles ont guéri ; c’est peut-être grâce au médicament, ou un effet d’autosuggestion due au fait d’être soigné par un grand professeur, ou de leur immunité personnelle, ou du hasard. Peut importe ! le résultat est là, les témoignages sont nombreux. Celui de l’actrice Mylène Demongeot [iii]en fait partie. Elle était malade, des médecins l’ont soignée (notamment avec de l’hydroxychloroquine) et elle est guérie. C’était le but des praticiens.

Une blague circule parmi les étudiants : un chercheur et un praticien sont au bord d’une rivière. Ils voient une personne qui appelle à l’aide car elle est en train de se noyer. Le praticien court au bord de l’eau avec une ficelle, un grand bâton de bois, une vieille chambre à air et essaye de tirer le malheureux de l’eau. Le chercheur reste calme, prend des notes et publiera un article sur la noyade. Si le noyer s’en tire, le chercheur affirmera que le praticien n’a pas apporté la preuve scientifique que sa méthode est bonne pour sauver les gens de la noyade : il faudrait la comparer sur de grands échantillon avec l’absence d’action.

Cette histoire n’est désobligeante qu’en apparence envers le chercheur. Si le but est de trouver une méthode infaillible pour sortir les gens de l’eau, il a raison. En l’absence de certitudes scientifique dument vérifiée, le praticien utilise son expertise et son expérience pour inventer une solution. Chacun son métier !

 

Le politique.  Il ne peut s’appuyer uniquement sur la science. Le pilotage d’un pays, ou d’une grande communauté humaine est trop complexe pour prétendre à la rigueur exigée par la science. Il n’est pas non plus praticien et n’a pas pour rôle, par exemple sur le plan sanitaire, de soigner les personnes malades. Le politique doit décider, trancher, choisir entre diverses options, pour le bien de ceux qu’il représente. La légitimité du scientifique tient à la preuve de ce qu’il affirme, ou à défaut au consensus unanime de la communauté scientifique à laquelle il appartient. Le praticien tient la sienne de ses formations et diplômes, ainsi que de son expérience, son savoir autant que ses savoir-faire. La légitimité du politique vient de ceux qui l’ont mandaté, c’est à dire ses électeurs en démocratie. C’est en leur nom qu’il décide, et sa décision doit tenir compte de tous les facteurs politiques, sociaux, économiques, stratégiques, etc. autrement dit de tout ce pourquoi il a été élu. Il ne peut se contenter de chercher à résoudre un problème unique, en ignorant les conséquences qui suivront sa résolution.

 

C’est le télescopage des rôles de ces trois acteurs qui provoque la crise et l’embourbement qui s’ensuit. Au départ, il y a un vrai problème : un virus venu de Chine, provoquant une maladie contagieuse et potentiellement mortelle. On sait dès le départ que la dangerosité de la maladie est très faible et qu’elle cible plus particulièrement les personnes dont la santé est affaiblie par divers facteurs comme l’âge. Les gens en bonne santé risquent seulement d’être malades, les enfants n’étant pas en danger. Mais l’arrivée brutale de malades réclamant une réanimation risque de provoquer un problème dans les hôpitaux, révélant des manques de notre système hospitalier. La situation est grave, mais pas catastrophique : la survie de la France n’est pas en danger et l’écrasante majorité de la population ne sera pas, ou peu, affectée par la maladie. Le rôle de la direction politique du pays est donc de faire face à cette situation grave en sachant que l’on ne dispose pas des moyens idéaux, donc qu’il faudra faire tout son possible, mais pas de miracle. Le rôle de cette direction est aussi, en même temps, de ne pas négliger les autres problèmes qui se posent au pays, en particulier le fonctionnement d’une économie fragile avec des risques de chômage et de récession, et l’éducation scolaire des enfants, qui ne sont pas en danger sanitaire.

 

Or ce n’est pas ce qui va se passer : d’un problème sanitaire grave on va faire une catastrophe nationale. Les scientifiques n’ont pas de réponse scientifique satisfaisante et n’ont pas le temps pour en trouver une. Les praticiens hospitaliers risquent d’être débordés et vont devoir faire avec les moyens du bord, ce que fait Didier Raoult, scientifique émérite mais qui agit en tant que praticien, suivi par la plupart des médecins. Si ces « bricolages » fonctionnent, les professionnels scientifiques, qui travaillent pour le compte des laboratoires pharmaceutiques[iv] seront dépossédés de leur pouvoir, et de leur rémunération ; ils vont faire pression sur les politiques et l’opinion pour imposer leur vision de la crise : diminuer le risque de contagion, quelles que soient les conséquences pour le pays, et imposer comme seule vérité scientifique celle résultant d’études reposant sur des modèle mathématiques et d’importantes données. Le président de la République, dont l’autorité n’est pas contestée, même par ceux (les plus nombreux) qui n’ont pas voté pour lui va, curieusement, abdiquer son pouvoir au profit d’un comité composé de professionnels scientifiques. Il va imposer au peuple un confinement drastique, parce que ce sont « les scientifiques » qui l’ont dit, parce ce que c’est la SCIENCE. Or ce n’est pas vrai : la science n’a rien décidé du tout, c’est lui, le Président, qui a pris cette décision et qui devra en assumer les conséquences.

 

A partir de ce moment, c’est le fameux comité scientifique, soutenu par le ministre de la santé et le directeur de la santé, qui règlera le déroulement des opérations, s’adressant parfois directement aux journalistes, court-circuitant ainsi le chef de l’Etat. L’Etat n’est plus dirigé par des élus, mais par certains spécialistes des sciences médicales. Ceux-ci, dont la compétence n’est pas en cause, vont se concentrer sur ce qu’ils visent : freiner l’épidémie pour se donner le temps de trouver un vaccin. Et tant pis si l’économie est ruinée, le chômage explose, la population est stressée et déprimée, et les enfants ne vont plus à l’école.

 

On ne peut pas reprocher aux spécialistes de se concentrer sur leur spécialité. C’est au pouvoir politique, et particulièrement au chef de l’Etat, de prendre les décisions les meilleures en tenant compte, en même temps, des diverses contraintes autres qu’épidémiques. Le sort de la France ne peut se résumer à la lutte contre l’épidémie. Le pouvoir décisionnel a donc été transféré par le Président, à certains scientifiques et certains praticiens hospitaliers. Je dis « certains scientifiques » car il s’agit de ceux qui utilisent des modèles mathématiques reposant sur le traitement d’un grand nombre de données, avec comparaison statistique. J’ai eu l’occasion jadis d’exprimer mes réserves quand à cette approche scientifique[v], qui est très loin d’être la seule. Ni Louis Pasteur, ni Claude Bernard ne disposaient de « big data » et de gros ordinateurs[vi].

 

Au moment du « déconfinement » les scientifiques en question renvoient la balle aux politiques qui leur ont donné le pouvoir, en cherchant à justifier a posteriori le confinement et toutes les mesures qui s’ensuivent, par des études prétendues scientifiques. Ici encore, on n’est pas dans le temps de la science, mais dans l’urgence d’empêcher qu’un véritable débat se fasse sur l’utilité de telles mesures et sur les responsabilités politiques de ceux qui les ont prises. L’étude publiée dans le Lancet sur l’usage de l’hydroxychloroquine en est un exemple. Elle avait pour but de décrédibiliser les praticiens utilisant ce médicament. Avec une honnêteté qu’il faut saluer, trois des auteurs ont reconnu leur erreur, due à un mauvais contrôle de leurs sources, ce qui est impardonnable pour de vrais scientifiques. Le professeur Raoult en fait des gorges chaudes en les comparants à trois célèbres comiques[vii].

 

Un récent article de France info[viii] montre, de manière caricaturale, la distorsion à laquelle se livrent certains scientifiques pour justifier le confinement tout en le remettant en cause. La lecture objective du contenu de l’article conduit à une conclusion évidente : si certaines mesures prises peuvent avoir eu une influence sur la mortalité, le confinement drastique à la française était totalement inutile. « "Le confinement, ce n'est pas la panacée. Cela doit rester une mesure de dernier ressort", estime Pascal Crépey ». Mais on va chercher encore des modèles mathématiques pour démontrer, a posteriori, que l’on devait confiné et que l’on a évité des millions de morts, en citant une étude de Nature  datée du 8 juin, sans préciser que ladite étude a été présentée au journal le 22 mars[ix]. Une telle étude ne peut évidemment pas être confirmée, ni même remise en cause, donc ne correspond pas du tout à la démarche scientifique telle que la définit Karl Popper. Franceinfo fait vraisemblablement une confusion avec l’étude en mars de l’Impérial collège, dirigée par Neil Ferguson, et qui a fortement influencé Boris Johnson, étude très critiquée par la suite[x].

 

L’article de Franceinfo note que des pays comme l’Allemagne qui ont imposé des contraintes beaucoup plus légères ont obtenu de bien meilleurs résultats que nous, et que le confinement seul ne suffit pas. La perle de cet article réside dans la comparaison avec deux autres pays, qui n’ont pas confiné, le Brésil et la Suède. « Pour les experts interrogés par Franceinfo[xi], la meilleure preuve de l'efficacité du confinement est apportée par les contre-exemples » … « Le royaume nordique affiche un taux de mortalité par habitant […] de 48 morts pour 100 000 habitants [xii]». Quant au Brésil, écrivent les mêmes « experts », il compte « 21 morts pour 100 000 habitants. [xiii]».  En France, le taux de décès pour 100 000 habitant est de 44[xiv]. Le taux par habitant est donc un peu supérieur en Suède et moitié inférieur au Brésil. Comment peut-on en déduire l’efficacité du confinement à la française ?

 

Il y a donc, depuis le début et encore actuellement, confusion complète des places entre les scientifiques, qui doivent travailler sans pression, les praticiens qui agissent sur le terrain, avec les moyens dont ils disposent, et les politiques qui prennent les décisions stratégiques générales, en ne se laissant pas déborder par l’émotion. C’est cette confusion des genres, et en particulier l’effacement volontaire du Président de la République qui a conduit à une perte des repères et au chaos que l’on voit.

 

Il est trop tôt pour tirer les conclusions scientifiques de cette crise. Pour ce faire, il faudra faire appel à diverses sciences, et pas seulement à l’épidémiologie modélisée par les mathématiques ; un travail d’historien, long et patient, devra être conduit. Après diverses études, confrontations, contestations, récusations, apparaîtra petit à petit une explication qui fera consensus et que, plus tard, on appellera vérité. Je ne prédis pas ce qu’elle sera mais je pense que j’aurais alors à modifier certaines des hypothèses que j’avais faites sur le moment ; cela ne me gène pas, le vrai scientifique préférant une vérité sûre à ses propres intuitions. D’autres, très nombreux, auront sans doute à faire beaucoup plus que moi cette ré-évaluation des leurs affirmations. En auront-ils la modestie ?

 

 

 



[i] Covidinfo, 1° juin

[iii] le Figaro, 20 avril.

[iv] Comme le dit le professeur Peronne, scientifique reconnu.

[v] Modèles mathématiques : us et abus. 2001. Disponible sur mon site professionnel

[vi] Nous nous trompons de méthode, disait déjà le Pr Raoult en Avril. Les Echos.

[viii] franceinfo, 21 juin

[ix] The effect of large-scale anti-contagion policies on the COVID-19 pandemic. Nature Juin

[xi] franceinfo, 21 juin.

[xii] Ibid.

[xiii] Ibid.

[xiv] Environ 30 000 décès pour 67 millions d’habitants. Statista 20 juin

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Commentaires
J
Merci pour ces excellents articles qui font réfléchir. Il faut ajouter le problème de la comparabilité. En France, il me semble avoir entendu que l'on ne comptabilisait pas les personnes décédées de la COVID19 au domicile. Ce qui souligne bien que le problème du politique c'est d'abord de gérer les flux dans les hôpitaux.<br /> <br /> Au Brésil, il y a probablement nombre de personnes décédées de la COVID19 et qui ne sont pas identifiées comme telles. Pour Bolsonaro, la position est de type Darwinienne (pour un évangéliste ou pro-évangéliste c'est le comble) : les miséreux peuvent crever. Il n'en a cure.<br /> <br /> Plus globalement ce qu'il convient de dénoncer c'est l'incurie de nos politiques. Rien n'a changé en fait depuis la ligne Maginot. <br /> <br /> Il y a quelques mois encore il était question de vendre l'Aéroport De Paris (ADP). <br /> <br /> Le GIEC ne cesse de mettre en garde depuis des années que nous allons droit dans le mur. Dumont l'avait déjà annoncé et d'autres avant lui. Peut être alors faut-il suivre Freud quand il parle de l'instinct de mort qui nous habite.
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Bruno Décoret
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ScienceCritique : Réflexions sur l'usage de la science

Ce blog, initialisé le 9 avril 2020, a pour but un regard critique sur toutes les références faites à la science, par les acteurs politiques, médiatiques, ou autre. Il ne suffit pas de dire « c’est la science » ou « les scientifiques ont dit » pour être réellement dans un processus scientifique. La science ne peut se réduire à des incantations.

Dominique Beudin développe sur son site professionnel une résistance à la grave situation actuelle que connaît notre pays. C'est avec plaisir que je conseille sa consultation. BE-ST résitance.

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